Les arts décoratifs

Les limites franchissables suggérées entre l’image et le cadre, celui-ci se dégageant d’un simple rôle décoratif et s’inscrivant comme partie de l’œuvre même, amorcent ainsi dans une même logique l’étude des nombreuses passerelles entre le Symbolisme et les Arts décoratifs. S’il semble évident que le Symbolisme n’est pas exclusivement réservé au domaine de la peinture, celle-ci n’étant d’ailleurs pas la première application du mouvement qui s’est d’abord illustré dans la littérature, son immersion dans la filière des Arts Décoratifs s’est cependant traduit par un autre terme, spécifique à cette attribution et qui est celui d’Art nouveau.

Siegfried Bing[1], un des principaux acteurs du japonisme et précurseur de l’Art nouveau, encourageait la promotion du commerce d’art ainsi que l’abolition des barrières entre les différents arts. Le japonisme, s’il fut généreusement accueilli par l’Art nouveau, ne se prêtait pas à une seule et même lecture et occasionnait des divergences dans les traductions artistiques. Il avait ainsi trouvé plusieurs foyers d’adoption ayant plus ou moins un caractère spécifique à chacun. La découverte progressive de l’Art japonais par les artistes fut par ainsi déterminante pour le cloisonnisme d’Anquetin, le synthétisme de Gauguin et d’Emile Bernard, pour le néo-impressionnisme de Seurat et de Signac mais aussi pour les aplats des Nabis tels que Bonnard et Vuillard.

En outre, les Arts décoratifs étaient pour les peintres un autre moyen d’exprimer leur conception de l’art. Le paravent, accessoire pratique, fut utilisé par les Nabis comme un moyen de valoriser une œuvre bidimensionnelle. Très caractéristiques, sur le Paravent[2] de Paul et France Ranson, de sensuels motifs abstraits s’entremêlent aux figures et au cygne, dans une bichromie de couleurs chaudes et épurées. Le panneau décoratif d’Odilon Redon, La Branche fleurie jaune destiné au Château de Domecy, présente le motif des arbres de façon décentrée, et brusquement interrompu par des fleurs de rêve. Celles-ci qui évoquent, de façon fortuite peut-être, le mon[3], le jaune doré, impalpable, la spiritualité sous-jacente, cet art de la suggestion, enfin, qui caractérise Odilon Redon, sont autant de liens avec l’esthétique japonaise. Redon s’était montré par ailleurs très attiré par les Arts décoratifs durant les premières années du XXè siècle et dessinait à la fois des projets de tissus, des écrans, des fauteuils pour les Gobelins, des paravents etc.

Le paysage représenté sur le paravent de Marcel-Béronneau paraît beaucoup moins imprégné de l’esprit symboliste, toutefois, la lumière qui éclaire ce bord d’étang 105, qui rappelle beaucoup le paysage intitulé L’arbre qui pleure 99, n’en dégage pas moins une atmosphère lyrique bercée par le murmure du lac tranquille, par la beauté charnelle de la nature, luxueuse, voluptueuse.

La tapisserie, autre champ d’activité des Arts décoratifs auquel s’exerçait volontiers les peintres symbolistes, fut l’objet d’une importante commande passée en 1912 par le Mobilier national à Marcel-Beronneau. Celui-ci ne parviendra à honorer cette demande qu’en 1923 en livrant le carton Salomé danse pour Hérode 85 dont le tissage fut élaboré à ce moment là jusqu’en 1930. Très considérable, dépassant les 3m de hauteur et de largeur, cette œuvre tissée en laine et soie, nécessita le travail de 7 lissiers. Le thème, bien connu et très représentatif du symbolisme de Gustave Moreau, traitant de la fameuse légende biblique de la princesse juive Salomé. Celle-ci danse devant le roi Hérode tandis que sa mère Hérodiade, à gauche, observe le roi et qu’un bourreau, figuré par l’homme à l’épée, préfigure le dénouement, la décollation de Saint Jean-Baptiste dont la tête coupée est présentée en médaillon au centre de la bordure.

Béronneau a situé la scène dans un palais ouvert, au début de la danse de la princesse qui, le bras tendu vers la tête auréolée de Saint Jean-Baptiste, en désigne ainsi son prix. Cette iconographie est encore très marquée de l’influence de Gustave Moreau, dont l’aquarelle L’Apparition[4] devait être l’inspiration de base.

Le thème de Salomé est repris ici avec l’accent mis sur le côté maléfique et destructeur de la femme : une large bordure est composée d’un peuple de serpents grouillants, symbole de perversité, et de fleurs de lotus, symbole de volupté. La présence de deux griffons de chaque côté de la tête du Saint peut s’expliquer de deux manières. Cet animal fantastique apparaît dans la mythologie d’une part comme gardien du palais, ici celui d’Hérode, mais aussi comme gardien de la tombe, celle de Jean-Baptiste.

L’attitude hiératique des personnages, la recherche de la matière précieuse et son traitement presque minéral, l’éclat des gemmes, les étoffes somptueuses, la profusion des détails, le sens aigu de la couleur de cette œuvre produisent un effet décoratif et fascinant.

Marcel-Béronneau s’exerçait ainsi dans d’autres domaines artistiques, dont il fit l’expérience lors de son apprentissage à l’Ecole des Arts décoratifs au sein de laquelle il fut d’ailleurs récompensé pour ses brillants travaux[5]. Après cette activité de décorateur, il s’essaye à l’illustration avec l’ouvrage Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire dont un exemplaire est conservé à la Bibliothèque nationale et un autre mis en vente dans la librairie Jacques Chaminade à Lyon.

Ce livre est issu d’un ensemble d’œuvres illustrées aux éditions P. Javal et Bourdeaux datant de 1933. Au total, 7 volumes confectionnés dans un demi-chagrin rouge à coins, dos à nerfs et tête dorée comprenant en plus des illustrations de Béronneau pour Les Fleurs du Mal, celles de Cornélius[6] pour Les Paradis artificiels, d’Ivanoff pour Petits poèmes en prose, de Fouqueray[7] pour des œuvres diverses et pour les Aventures d’Arthur Gordon Pym par Edgar Poe et enfin de Leroux[8] pour les Histoires extraordinaires du même auteur.



[1] Siegfried dit Samuel Bing, grand promoteur de l’Art nouveau ( 1838 – 1905 ).

[2] Paravent, acajou avec broderies de soie et dessins au pochoir, Paul et France Ranson, vers 1892. Richmond, Virginia Museum of Fine Arts. P. 336 de L’art décoratif en Europe du néoclassicisme à l’art déco, Alain Gruber, 1994.

[3] Emblème héraldique japonais.

[4] p. 151 Gustave Moreau, Réunion des Musées Nationaux.

[5] Voir biographie, p. 15.

[6] Georges Cornelius, Strasbourg 1880-Ploubazlanec, Côtes du Nord, 1966.

[7] Charles Fouqueray, La Mans 1869-Paris 1956.

[8] Georges Leroux, Paris 1877-1957.

2 commentaires:

lotusgreen a dit…

thank you so much for this post. you have taught me about some artists i didn't know, like anquetin, for examlple.

Anonyme a dit…

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