Le contact avec le milieu rosicrucien

Les débuts de l’artiste furent bien évidemment confrontés au mysticisme et à l’idéalisme de Joséphin Péladan, surnommé le Sâr, fondateur de l’Ordre de la Rose-Croix catholique du Temple et du Graal en 1891 et autour duquel s’organisait des Salons, de 1892 à 1897, à la galerie Durand-Ruel, puis au Champ de Mars. Péladan imposait aux Gestes esthétiques de la Rose+Croix (les Salons) des règles strictes qui imposaient une liste de sujets interdits et l’obligation à jamais de détourner l’art des sujets bourgeois et contemporains, de s’en tenir au passé et aux sujets mystiques. Tout ce qui pouvait rappeler la peinture traditionnelle et la représentation de la réalité était lourdement condamné et l’énumération d’interdits ne laissait alors qu’une issue : les thèmes légendaires ou mythiques. Le Sâr confirmait ainsi cette doctrine en affirmant : «il n’y a qu’un sujet en art : Œdipe ou Orphée ou Hamlet, c’est à dire un héros aux prises avec une énigme morale ou sociale»[1] ou encore «Hors des religions il n’y a pas de grand art».

En effet, les tableaux devront représenter tout ce qui touche à l’Idéal catholique et au mysticisme : la légende, le rêve, le mythe et l’allégorie. Il va sans dire qu’en imposant des règles aussi strictes, Péladan pensait à deux peintres qu’il admire profondément : Gustave Moreau et Puvis de Chavannes. Pourtant ce ne furent pas les maîtres qu’il attira aux Salons, mais une série de peintres belges et français dont les œuvres, aux titres évocateurs, ne laissèrent pas à la peinture un héritage incomparable : Alphonse Osbert donnera en 1892 La vision, Edgard Maxence, L’âme de la forêt, Arman Point, La sirène et Alexandre Séon, Le désespoir de la chimère. Marcel-Béronneau participe lui-même à cet Ordre en 1897 en exposant au Salon plusieurs tableaux dont Muse, Orphée et Judith.

Orphée 64, traduit bien une conception idéaliste qui, sous le titre d’Orphée, peut en réalité faire référence à une jeune femme pleurant sur le sort du poète et dont le seul souvenir se matérialise dans cette lyre qui semble porter la tristesse du personnage. En fait, la nature du sexe de celui-ci est difficilement reconnaissable et l’hypothèse d’Orphée semble contestée par l’apparence féminine des courbes de la nuque et de la poitrine dans une sorte de prison, sombre et envahie de broussailles dangereuses, qui s’apparenterait à une représentation des enfers. Ainsi, l’image tend à suggérer l’idée d’Orphée aux enfers dans une confrontation avec celle de la femme, et induit une ambiguïté faisant référence au thème de l’androgyne. Composé idéal de deux sexes, l’androgyne constitue en lui-même un mythe dans lequel se reconnaissaient un grand nombre d’artistes, tels que le fondateur même de la Rose+Croix, le Sar Péladan.



[1] Cité par F. Grauby, La création mythique à l’époque du symbolisme, p. 70.

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