D’une touche délicate, sensible aux couleurs naturelles

Dans les années vingt, installé à Versailles avec son épouse, Marcel-Beronneau réalise de nombreuses vues de jardins du petit Trianon dans lesquelles elle apparaît parfois. Elle incarnait alors son idéal féminin si longtemps représenté en Salomé. Dans La couture à la roseraie 96, le thème réunit la femme et la fleur dans un univers clos, uniforme, fondues l’une et l’autre dans une même gamme de pastels aux dominantes roses, bleus et jaunes. Appartenant à la nature, la figure féminine est insérée dans cet équilibre harmonieux, doucement bercée par la fraîche lumière du matin, légère et brumeuse.

Dans une autre version, plus petite, répondant au titre Dans le jardin 95, le dessin est beaucoup plus souple, les roses au premier plan deviennent plus importantes dans la surface peinte et de nouvelles touches bleues rehaussent le côté droit de la composition. Cette partie du tableau, plus floue, renforce l’idée de fusion femme-fleur, dans un décor féerique, rêvé, illusoire. Cet univers idéalisé, issue de l’imaginaire de l’artiste, arbore une dimension poétique et lyrique.

Les gammes chromatiques exploitées à travers ces paysages idylliques reflètent une certaine esthétique japonisante, évoquant à nouveau celle que Redon utilise dans ses œuvres. L’imaginaire féerique conçu dans le portrait Madame Arthur Fontaine* qu’il réalise en 1901 indiquait déjà les principes symbolistes repris par Marcel-Beronneau. Car si ce dernier conservait dans le traitement de ses paysages une proximité rassurante avec la réalité, à l’inverse de Redon qui s’isolait et se perdait dans l’irréalisme de ses rêves, il arrivait cependant à dépasser cette réalité pour exprimer les aspirations de son âme.

L’exposition Les peintres de l’âme tenue en 1999 à Bruxelles a permis entre autre de confirmer l’importance du paysage symboliste et de comprendre l’étendue et la diversité des champs thématiques. Quel que soit le sujet de l’œuvre, et surtout quelle qu’en soit la traduction plastique, l’unité ressentie dans ce mouvement et majorée à travers cette exposition, semble venir d’un désir commun d’introspection individuelle et d’expression métaphysique, émotionnelle, exploratrice d’un monde intérieur. Charles Lacoste soulevait très judicieusement la question sur la véritable source des sentiments : « Notre douleur et notre joie, nous ne savons si ce sont des voiles ou des révélateurs : de ce mystérieux enchantement que d’autres nomment poésie et sans quoi nul pain n’aurait la saveur nourricière, nous ne savons pas s’il est en nous ou dans les choses. Il est comme dans un rayon venu d’un autre monde de la création. »

Marcel-Beronneau, inspiré par le spectacle de la Création, composait lui-même quelques poèmes sur ce thème dont Emeraude, qui évoque le parc de Versailles qui a «festonné sa robe d’émeraude (…) Comme un monarque antique et fier de sa beauté», où «Chaque saison déchire ou forme sa dentelle», est paré de «Broderie et perle, motifs au ton vermeil», et d’« Incrustations d’or, ailes de coccinelles...». Les adressant à son épouse, ses textes poétiques illustrent également la confrontation de la femme à la nature, déjà évoquée, particulièrement celui intitulé Nouveau Printemps, dont un premier essai daté de 1921, est retranscrit ici :

« En la froide saison, semble dormir la sève,

Qui malgré tout bouillonne attendant le sommeil

Car elle le sait bien, qu’après la longue trêve

Deviendra caressant de plus doux le réveil.

Votre cœur lui, n’avait ni repos ni sommeil

Il aspirait toujours à vivre son grand rêve

Il voulait s’exalter dans un cœur tout pareil

En la félicité qu’Eros seul parachève.

Mais l’aurore a sonné !

Voici le jour venu ;

Tout est ravissement, extase et inconnu :

L’amour lui-même a fait renaître l’espérance

En la froide saison expire en un décor,

Et votre sève veut, puisqu’elle est renaissante

S’envoler dans le songe et s’y grandir encor. »[1]

Ainsi, les limites entre le versant décoratif, illustré par des peintures de paysages, et le versant symboliste décrit par les thèmes de femmes fatales, coupeuses de tête et divinisées, ne semblent pas aussi hermétiques qu’elles pourraient le paraître, et l’esprit requis pour la traduction de telles images si différentes soient-elles conserve le même idéalisme. « Idée, idéal, idéisme et idéalisme » sont par ailleurs les termes qu’affectionnaient les symbolistes : le poète Henri de Régnier considère l’idéalisme comme « la clé métaphysique de la plupart des esprits qui composent l’école symboliste ». Le concept platonicien de l’Idée est réactualisée par la définition d’un symbolisme en littérature comme en peinture, mais cette notion demeure aussi vague que celle de symbole. Elle englobe à la fois les concepts de métaphysique, de vie psychique et de vision poétique.



[1] Archives de Mme Marchant.

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